Sur les traces du Cid, en Aragon

Il faut bien avouer que c’est sur place que j’ai découvert que nous allions suivre peu ou prou les chemins qu’aurait emprunté le fameux chevalier rendu célèbre par Corneille. Il m’en restait bien quelques vagues souvenirs de collège mais guère plus. Après tout, j’aurais aussi pu appeler ce compte-rendu « retour sur investissement ». Mais cela aurait été un peu trop mercantile. Le Cid, c’est quand même plus majestueux (quoi, qui a dit prétentieux ?). Maintenant, il est vrai que cet hiver, un léger coup de mieux sur la trésorerie m’a permis d’investir dans le couple jantes/pneus et acquérir enfin ces fameux Latitude Cross si vantés. Et, au diable l’avarice, j’ai aussi fait poser une plaque de protection sous la boite de transfert de façon à éviter qu’une malencontreuse pierre ne vienne, au coin d’une méchante piste, interrompre fâcheusement des vacances bien méritées (comme toutes les vacances d’ailleurs…)

Alors, tout type normalement constitué, et je ne déroge pas à la règle, à envie de savoir si ses jouets tiennent la route ! Quoi de mieux que d’aller de nouveau taquiner, de façon fort modeste il est vrai, les pistes espagnoles ?
Pourquoi espagnoles après tout ? D’abord parce ce que ce n’est qu’à quelques encablures de Toulouse et ensuite que l’Espagne propose encore un terrain de jeu ouvert à qui veut bien aller ramasser la poussière de ses chemins.
Va pour l’Espagne, donc. C’est armé du Road Book Vibraction 28, qui relie St Jean Pied de Port à Teruel, que nous franchissons les Pyrénées. Il n’est certes pas question de sillonner la totalité du parcours, aussi nous sommes nous focalisé sur la dernière partie, entre Calatayud (au sud de Saragosse) et Teruel d’où nous irons récupérer l’autoroute qui nous ramènera au bercail 10 jours plus tard.

Précisons tout de suite que le parcours qui va être décrit peut aussi se réaliser sans l’assistance des 4 roues motrices. En effet, le réseau routier traditionnel vient le suppléer pour qui n’envisage pas de se retrouver 10 jours plus tard avec un camion totalement rempli de poussière !
Les mêmes sites sont accessibles moyennant parfois quelques détours, seul le canyon de Teruel exigera le 4x4 et un bon road-book pour en trouver l’accès. On ne pourra pas non plus accéder aux remparts d’Albaracin, la descente y menant s’est avérée plus qu’anxiogène. Pour le reste, et à part quelques bivouacs un poil extrême, vous pourrez tout à fait visiter cette merveilleuse région, y compris les Gorges du Haut Tage puisque la piste qui les parcoure peut s’emprunter avec une simple voiture de tourisme.

Saragosse peut mériter le détour, mais une journée suffira pour en épuiser les charmes. Quelques très belles façades d’immeubles 1920/1930, comme toujours en Espagne une ou deux cathédrales grandiloquentes et quelques bars à tapas et on en aura fini avec la capitale de l’Aragon. 100 kms d’autoroute (gratuite) vous emmènerons à Catalayud où je vous déconseille de tenter de pénétrer dans le vieux centre ville avec le Marco. Les ruelles qui se rétrécissent sournoisement peuvent très vite avoir raison de votre flegme et de vos rétroviseurs.

À partir de là, nous avons opté pour la piste alors que, benêts que nous sommes, une fort belle route goudronnée mène bien plus efficacement au Monastère de la Piedra, distant d’une trentaine de kilomètres. Oui, mais la route c’est banal, la piste c’est l’aventure ! Surtout lorsqu’on ne suit pas bien les indications du road-book et que l’on se retrouve assez vite sur ladite route ! Bah, ce n’est que partie remise et demain, on verra ce qu’on verra.

Le Monastère en tant que bâtisse offre un assez bel exemple de reconversion monastique ayant cédé aux sirènes du marketing. En revanche, l’immense parc qui l’entoure pourrait presque justifier à lui seul le voyage. Certes le prix d’entrée est dissuasif (15€ par adulte normalement constitué) mais vous n’aurez pas à regretter d’avoir ouvert votre porte-monnaie. C’est ici un festival de cascades naturelles qui se déversent au fond d’un canyon profond et offre 2 heures de balade enchanteresse.

Le voyage se poursuit vers le sud, toute cette région assez montagneuse (altitude comprise entre 800 et 1800 mètres) propose des paysages inédits qu’on attribuerait plutôt à l’Ouest américain. Au point que, parfois, on peut se poser la question de l’utilité d’aller poser ses fesses pendant 12 heures dans un long-courrier et de se faire délester au passage de quelques milliers d’euros. Oui, c’est un peu exagéré, les étendues ne sont pas aussi vastes, mais le mimétisme est certain.

Au sanctuaire de Jaraba, nous attaquons un passage « mains moites ». C’est la meilleure terminologie qui me vient à l’esprit pour qualifier une négociation houleuse de chemin difficile. La piste monte sec, même très sec, à flan de falaise, avant de passer sur un pont naturel qui nécessite un sang-froid dont je ne me savais pas pourvu. Imaginez un chemin permettant à peine le passage en largeur du Marco, et, de part et d’autre, le vide… C’est assez curieux, mais heureusement court !
En gros, il ne faut pas tourner le volant. Ensuite, la piste monte encore plus durement dans un pierrier où les Latitude Cross expriment enfin tout leur potentiel. Ça accroche bien et tant mieux, car la marche arrière ou le demi-tour sont totalement prohibés ! Pas de photos ou de vidéo de nos exploits, trop occupé à serrer le volant et les fesses ! Vous devrez nous croire sur parole…

Nous nous hissons donc doucement jusque sur le plateau qui nous offre, belle récompense, une vue époustouflante sur une région complètement déserte. Nous y stoppons pour la nuit dans un décor assez impressionnant. Ce qui nous frappera le plus sera le silence total de la nuit. Pas un souffle d’air, pas un bruit, pas même un insecte impertinent. Au matin, passera un fermier au volant d’un vrai 4x4. Tellement surpris de nous trouver là, qu’il descendra de voiture pour se faire offrir un café. Quand je lui dit que nous sommes monté par Jaraba, il ne voudra pas en croire un mot ! Cela dit, le pays est littéralement sillonné de pistes et l’endroit où nous avons bivouaqué est, encore une fois, parfaitement accessible par des chemins plus conviviaux.
Mais enfin, je voulais savoir jusqu’où on pouvait pousser le Marco et finalement, j’ai atteint mes propres limites, on le verra par la suite avec la périlleuse descente sur Albaracin.

Nous poursuivons beaucoup plus tranquillement vers la Virgen de la Hoz, encore un paysage sortit tout droit d’un bon vieux western. Hormis le sempiternel ermitage, on s’attendrait presque à croiser Randolph Scott ou James Stewart.
La route est splendide et nous mène ensuite à l’entrée des Gorges du Haut-Tage. Au printemps, l’endroit est désert, et sur la trentaine de kilomètres de piste nous ne croiserons guère qu’une ou deux voitures. Cela dit, le nombre et la taille des aires de récréation en bordure de rivière nous incitent à penser que la fréquentation doit grimper en flèche durant les beaux jours. Même si les villes les plus proches sont quand même distantes de plusieurs dizaines de kilomètres.

Maintenant les pistes s’enchainent facilement et dévoilent au coin de chaque virage de somptueux paysages. Les bivouacs se décident au dernier moment tant l’embarras du choix est grand. Le silence est total, la solitude aussi. Nous arrivons aux dernières étapes du voyage. Aujourd’hui Albaracin et demain Teruel. Puis ensuite, le retour direct vers Toulouse. Le road-book nous conseille de quitter la route principale et de grimper à travers la pampa de façon à arriver au dessus d’Albaracin et de découvrir ses remparts et le canyon qui les abrite. Bien, soit, allons-y. Il n’est pas fait mention de difficultés particulières sur cette portion de piste… Surement cela est il vraisemblable pour un bon conducteur au volant d’un vrai 4x4. Mais pour un débutant cela signifie un deuxième épisode « mains moites ». La dernière descente est très impressionnante, le terrain est mauvais, rendu peu stable par les graviers. Je n’ai qu’une angoisse, que dans la forte pente, le Marco décroche et que je ne puisse le contrôler. Mais, heureusement, là encore tout se passe bien, grâce aux pneus Michelin qui font le job. Cependant, la pierraille claque sous l’auto. Je vérifie sous le châssis et je me félicite d’avoir fait installer une protection pour la boite de transfert. Celle-ci a rempli son office et encaissé comme un challenger malingre dans un combat de boxe. Tordue mais pas rompue, ce qui démontre s’il était besoin, qu’avant d’aller faire le mariole dans la pampa, il est prudent de protéger ses dessous !

Se sera le dernier épisode un peu tendu. D’Albaracin, nous empruntons notre dernière piste en direction de Teruel. Dans une vaste pinède, d’énormes blocs de grès rouge servent de terrain de jeu aux grimpeurs venus d’Europe entière pour tester leur agilité. Le parking ressemble à un mini salon du fourgon aménagé ! Si nous n’en avions croisés aucun depuis notre départ, c’est que tous étaient concentrés à cet endroit ! Notre piste nous hisse à travers la forêt jusqu’à 1800 mètres d’altitude. Çà et là trainent les dernières plaque de neige sales et nous débusquons quelques cerfs qui filent devant le camion. On redescends tranquillement vers Teruel et y arrivons en fin de journée en passant par la Rambla de Barrachina, un lit de rivière asséché qui nous fait découvrir son paysage de FarWest. C’est la seule portion de parcours qui exige le 4x4, car aucune autre alternative routière n’existe. Pour découvrir cet incroyable paysage, il faudra marcher, ou pratiquer le VTT, mais nous n’y avons croisé personne, ce qui devient une habitude dans cette contrée. Par ailleurs, il est impératif d’y aller en fin d’après midi pour bénéficier d’une lumière idoine. Les photos n’en seront que plus réussies. Le matin, l’orientation du canyon fait que les falaises sont en total contrejour, donc impossibles à photographier.